1. Pourquoi a-t-on besoin d’“archives naturelles” ?
Les mesures météo instrumentales (thermomètres, pluviomètres, etc.) existent depuis :
environ 150–200 ans dans certaines régions,
un peu moins dans d’autres.
C’est très utile pour comprendre le climat récent,
mais totalement insuffisant pour savoir :
à quoi ressemblait le climat il y a 500 ans,
ou 20 000 ans, au Dernier Maximum Glaciaire,
ou comment évoluaient les cycles glaciaire–interglaciaire.
Pour remonter plus loin, les climatologues utilisent des indices indirects :
Ce ne sont pas des thermomètres,
mais des traces physiques, chimiques ou biologiques laissées par le climat dans la nature.
On cherche donc des archives qui :
se construisent petit à petit (couches de glace, couches de sédiments, anneaux de croissance…),
sont datables,
et dont certaines propriétés dépendent du climat (température, précipitations, composition de l’atmosphère…).
2. Les glaces : de véritables “capsules temporelles” du climat
Les carottes de glace (surtout au Groenland et en Antarctique) sont parmi les archives les plus spectaculaires.
2.1 Comment on les obtient ?
Des équipes perforent la glace à l’aide d’une foreuse qui descend parfois jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur.
À chaque profondeur, on remonte un cylindre de glace (une carotte).
Les couches de neige qui tombent chaque année se compactent et deviennent glace :
→ plus on descend, plus on remonte dans le temps.
Dans certaines glaces, on remonte ainsi :
à plus de 100 000 ans,
voire plus de 700 000 ans dans les meilleures archives antarctiques.
2.2 Ce que racontent les carottes de glace
La glace contient :
des bulles d’air piégées quand la neige s’est transformée en glace,
des particules (poussières, cendres volcaniques, pollens…),
des molécules d’eau dont la composition isotopique (O¹⁸/O¹⁶, H²/H¹) dépend de la température.
Grâce à ça, on peut :
mesurer la composition de l’atmosphère passée :
CO₂, CH₄, N₂O… directement dans les bulles d’air,
reconstituer des variations de température :
via les isotopes de l’oxygène et de l’hydrogène dans la glace,
repérer des éruptions volcaniques majeures (cendres, acides),
voir des périodes plus poussiéreuses (climat plus sec, vents plus forts).
Les carottes de glace sont donc un combo unique :
Elles donnent à la fois le climat (température)
et l’état de l’atmosphère (gaz à effet de serre) sur des centaines de milliers d’années.
3. Les anneaux des arbres : un calendrier climatique très précis
Les arbres, surtout dans les régions tempérées ou froides, forment en général un anneau de croissance par an.
3.1 Largeur des anneaux et climat
Chaque anneau peut être :
plus large quand les conditions sont favorables (température, eau suffisante…),
plus fin lors d’années difficiles (froid, sécheresse…).
En observant des troncs d’arbres vivants ou fossiles et en mesurant :
la largeur,
parfois la densité,
ou même la composition chimique des anneaux,
les scientifiques peuvent reconstituer :
des variations annuelles de conditions climatiques,
souvent en lien avec la température ou les précipitations, selon les régions.
3.2 Dater très précisément : la dendrochronologie
On peut aligner les séries d’anneaux de différents arbres :
un vieux tronc partiellement conservé,
un arbre mort depuis des siècles,
des poutres de bâtiments anciens…
Les motifs d’anneaux (succession d’années “larges” et “fines”) servent comme un code-barres.
On obtient ainsi des chronologies continues remontant parfois :
sur plusieurs milliers d’années.
Les anneaux d’arbres sont donc précieux pour :
des reconstitutions à haute résolution temporelle (année par année),
surtout pour les derniers millénaires.
4. Les sédiments : archives au fond des lacs et des océans
Au fond des lacs et des océans, des couches de sédiments se déposent au fil du temps :
fragments de roches,
restes de plancton,
pollen,
matière organique, etc.
Les carottes de sédiments permettent de remonter :
à quelques milliers d’années pour certains lacs,
à plusieurs millions d’années pour certains fonds marins.
4.1 Ce que contiennent les sédiments
On y trouve :
des microfossiles (foraminifères, diatomées…) dont :
les espèces présentes dépendent du climat, de la température de l’eau, de la salinité…
la composition isotopique des coquilles (par exemple en oxygène) :
elle varie avec la température et l’état des glaces sur Terre.
du pollen transporté par le vent et déposé dans les lacs :
il renseigne sur la végétation environnante,
donc sur le climat régional (forêts, steppes, tundra, etc.).
4.2 Reconstituer le climat à partir des sédiments
En combinant :
quelles espèces sont présentes,
leurs proportions,
la composition chimique des couches,
les scientifiques déduisent :
les températures de surface de l’océan à différentes époques,
les changements de climat régional (plus humide / plus sec, plus chaud / plus froid),
les rythmes des glaciations et déglaciations sur des centaines de milliers d’années.
5. Coraux, stalagmites, autres archives naturelles
Il existe d’autres “enregistreurs” du climat.
5.1 Coraux : thermomètres des mers tropicales
Les coraux construisent leur squelette en carbonate de calcium (CaCO₃), couche après couche.
La composition isotopique et chimique de ces couches dépend :
de la température de l’eau,
parfois de la salinité.
En forant un corail massif, on peut :
lire les variations saisonnières ou annuelles,
reconstituer le climat des régions tropicales sur plusieurs centaines d’années, voire plus.
5.2 Stalagmites et stalactites : archives des grottes
Dans certaines grottes, l’eau qui goutte dépose peu à peu du carbonate de calcium et forme :
des stalagmites (montent du sol),
des stalactites (descendent du plafond).
La composition isotopique de ces dépôts dépend :
de la composition de l’eau qui vient du sol au-dessus,
donc des pluies, de la température, de la végétation…
Ces archives (speleothèmes) permettent de reconstituer :
des variations de pluviométrie,
certains changements de mousson,
des périodes de sécheresse ou de climat humide,
souvent sur des échelles de milliers d’années.
6. Comment date-t-on toutes ces archives ?
Savoir “ce qu’il y avait” ne suffit pas : il faut aussi savoir “quand”.
Les scientifiques utilisent plusieurs méthodes :
Radiocarbone (C¹⁴) :
pour dater des matières organiques jusqu’à environ 40–50 000 ans,
utile pour les sédiments récents, le bois, les restes de plantes, etc.
Uranium–thorium :
pour dater des coraux, des stalagmites,
sur des périodes de plusieurs centaines de milliers d’années.
Comptage direct des couches :
carottes de glace (couches annuelles),
anneaux d’arbres,
certaines varves (couches annuelles dans des lacs).
Méthodes stratigraphiques :
en identifiant des couches marquées par, par exemple, une grande éruption volcanique dont on connaît la date,
on calerait ainsi une partie de la chronologie.
Souvent, on combine plusieurs méthodes pour réduire les incertitudes.
7. Comment passe-t-on du signal brut à la “courbe de climat” ?
Une fois les carottes, les anneaux ou les échantillons récupérés, le travail est loin d’être fini.
Les scientifiques doivent :
Mesurer précisément des paramètres :
isotopes de l’oxygène, du carbone,
concentrations en gaz,
types de pollens,
largeurs d’anneaux, etc.
Comprendre la relation entre ce paramètre et le climat :
par exemple :
dans une région donnée, la largeur des anneaux d’arbres dépend-elle surtout de la température ou de l’eau disponible ?
on utilise souvent des calibrations avec les observations récentes (où on a à la fois le climat mesuré & le proxy).
Reconstruire une variable climatique :
température,
précipitations,
indice de sécheresse,
volume de glace, etc.
Combiner plusieurs archives :
arbres + glaces + coraux + sédiments…
pour obtenir une vision plus complète et robuste du climat passé.
Le résultat, ce sont des courbes comme :
la température moyenne de l’hémisphère nord sur 1 000 ans,
les variations de CO₂ sur 800 000 ans,
l’alternance des périodes glaciaires et interglaciaires, etc.
8. Pourquoi c’est crucial pour comprendre le climat d’aujourd’hui ?
Étudier le climat du passé permet de répondre à des questions clés :
Quelle est l’ampleur “normale” de la variabilité naturelle ?
→ Pour voir en quoi le réchauffement actuel est exceptionnel ou non.Comment le climat réagit aux changements de CO₂, aux variations d’orbite, aux volcans, etc. ?
→ Ça aide à tester et améliorer les modèles climatiques.Quels impacts ont eu les anciennes périodes chaudes ou sèches sur les écosystèmes ?
→ Cela donne des indices sur ce qui pourrait arriver dans un climat plus chaud.
En bref, le passé est un laboratoire naturel à grande échelle.
Sans ces archives, on serait presque aveugles sur la façon dont le système climatique réagit aux perturbations.
En résumé
Pour répondre à :
“Comment les scientifiques étudient-ils le climat du passé (glaces, anneaux des arbres, etc.) ?”
Ils utilisent des archives naturelles – glaces, arbres, sédiments, coraux, grottes – qui gardent une trace du climat au moment où elles se sont formées.
Les carottes de glace donnent à la fois :
des indices sur la température,
et la composition de l’atmosphère (CO₂, CH₄…) sur des centaines de milliers d’années.
Les anneaux des arbres permettent de reconstituer des variations annuelles de climat sur plusieurs centaines à milliers d’années.
Les sédiments des lacs et des océans, les coraux, les stalagmites complètent l’image sur des durées allant de quelques milliers à des millions d’années.
Des méthodes de datation (carbone 14, uranium–thorium, comptage de couches, repères volcaniques…) permettent de replacer ces informations dans le temps.
En combinant toutes ces archives, les scientifiques reconstituent l’histoire du climat et peuvent mieux comprendre :
ce qui relève de la variabilité naturelle,
et ce qui, aujourd’hui, est lié aux activités humaines et au changement climatique actuel.
En une phrase :
Les scientifiques lisent le climat du passé comme on lirait une bibliothèque de traces naturelles – glaces, arbres, sédiments, coraux – pour reconstituer, page après page, l’histoire longue du climat de la Terre.